Les leaders africains doivent intensifier leur soutien à l’éducation des filles, surtout en situation de crise
Pour atteindre l'ODD 4 et l'Aspiration 6 de l’Agenda 2063, les États doivent investir dans une éducation de qualité pour les enfants les plus laissés pour compte, en particulier les filles touchées par les crises humanitaires et les conflits.
30 juin 2017 par Doris Mpoumou, Save the Children African Union Liaison and Pan Africa Office
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Lecture : 12 minutes
Une fille assise sur des table-bancs cassées République centrafricaine. Ces tables-bancs ont ensuite été remplacées par de nouvelles fournies par le GPE, conformément à son cadre directeur pour l'accélération de l'appui dans les situations d'urgence et de reconstruction

Nyakat est une réfugiée sud-soudanaise de 15 ans qui vit dans un camp à Gambella, en Éthiopie. En 2014, elle a fui avec son petit frère la ville de Djouba en guerre pour trouver refuge au Kenya. En 2015, ils ont pu rejoindre leur mère au camp de Dawe à Gambella. Save the Children a demandé à Nyakat d’intervenir lors d’un événement de haut niveau organisé sur le thème de l’éducation en situation d’urgence. Elle a ainsi pu témoigner des difficultés extraordinaires auxquelles sont confrontés les enfants réfugiés, en particulier les filles, pour faire valoir leur droit à l’éducation.

Lorsque Nyakat a pris la parole, la centaine de personnes qui se trouvaient dans la salle, notamment des ministres de l'éducation, des responsables de haut niveau de l'UA, ainsi que des représentants d’OSC, observa un grand silence. Chacun écoutait la jeune fille et son message simple mais fort.

Nyakat a donc pu décrire les conditions difficiles qui rendent n’importe quel apprentissage quasiment impossible. Elle a parlé des 150 camarades de classe qui se battent quotidiennement pour un siège, du nombre insuffisant de salles de classe et d'enseignants. Elle a aussi raconté comment quelques jours par mois, elle ratait l'école, indisposée par ses règles.

L’éducation est un besoin élémentaire en situation d’urgence

Sa voix frêle a pourtant su délivrer un message clair et fort. Nyakat a 15 ans. Elle est en 8e année mais lit comme une élève de 2e année. Pour ceux qui l’écoutaient, la réalité n’aurait su être plus frappante. La réalité de l’échec de notre communauté envers Nyakat, malgré sa soif d'apprendre.

De nombreuses études montrent que pour les enfants, en situation de crise humanitaire, l'éducation importe tout autant que la nourriture et le logement, en cela qu’elle introduit un certain retour à la normale dans leur quotidien.

C'est pourquoi l'éducation doit faire partie intégrante de l’ensemble élémentaire de services dont bénéficient les réfugiés et les populations de déplacés internes (PDI) dans les situations d’urgence. Pourtant, l'application de ces conclusions est rarement concrétisée dans les programmes et les projets mis en œuvre dans les camps de réfugiés et de PDI.

Comme la plupart des enfants, Nyakat rêve en grand. Pour conclure, elle nous a dit qu’elle voulait devenir pilote et a sollicité notre aide.

Pourquoi les filles sont-elles laissées pour compte dans l'accès à une éducation de qualité ?

On n’insistera jamais assez sur l’importance de l’éducation pour les filles comme pour les garçons. Tandis que celle des garçons semble universellement légitime, certaines communautés continuent de discriminer les filles quand il s’agit d'éducation. Conséquence de multiples facteurs, plus de 17,8 millions de filles sur les 32,6 millions d’enfants en âge d’être scolarisés dans le primaire étaient ainsi non scolarisées dans l’Afrique subsaharienne de 2015.

Les obstacles à l’éducation des filles sont nombreux : stéréotypes sexistes, mariage précoce, méthodes d'enseignement qui défavorisent les filles ; pénurie de serviettes hygiéniques, de vestiaires privés et d’installations sanitaires ; attentes des enseignants moins ambitieuses auprès des filles que des garçons, en particulier en sciences et mathématiques ; agressions, violences et harcèlement sexuels de la part des enseignants ou du personnel scolaire, pauvreté, ainsi que crises et conflits. Nous savons pourtant que le manque d’investissement dans une éducation de qualité pour les filles sera une entrave à des évolutions transformatrices et à leur impact positif pour la croissance et le développement africains, notamment par des bénéfices en termes de paix et de stabilité.

Les situations de crise et de conflits aggravent le recul en matière d’éducation des filles

Ces facteurs se trouvent exacerbés en situation de crise et de conflits.

On estime à 17 millions les filles et les garçons souffrant du manque d'éducation à cause des attaques d'écoles dans de nombreuses régions d’Afrique touchées par les conflits.

Entre 2009 et 2015, 910 écoles ont été attaquées et détruites dans le nord du Nigéria.

Les enlèvements et les violences sexuelles lors des conflits constituent un sérieux obstacle aux possibilités d'apprentissage des filles, comme en témoigne l'enlèvement par Boko Haram de 276 lycéennes dans le nord du Nigéria : un bon nombre d’entre elles ont été violées, et certaines, en conséquence, ont connu une maternité prématurée.

Ceci entraîne bien sûr un affaiblissement des performances et une augmentation du décrochage scolaire. En cas de conflits, on observe également une augmentation des mariages précoces, car ceux-ci sont perçus par les parents tant comme une mesure de protection de leur fille contre des atrocités potentielles qu’un recours pour générer un revenu en temps de crise.

De même, les grossesses précoces dues à la violence sexuelle exercée contre les filles dans les situations de conflit diminuent davantage leurs chances déjà minces d’achever leur éducation.

L’investissement dans l’éducation, en particulier dans les situations de crise humanitaire, n’est pas facultatif

Les bénéfices de l'investissement dans l'éducation des filles sont bien connus. Au-delà de leur contribution à l’éducation des générations futures, les enfants de mères instruites sont moins susceptibles de mourir avant l’âge de cinq ans. En Afrique, l'enfant né d'une femme sans aucune éducation a en effet un risque sur cinq de mourir avant sa cinquième année. Les données montrent que l’enseignement primaire et secondaire peut contribuer de manière significative à la réduction de la mortalité infantile et maternelle.

De même, une éducation des filles plus développée peut non seulement contribuer à une plus grande participation des filles et des femmes à des positions de leadership dans les instances parlementaires et les conseils, mais entraîne également une diminution des mariages précoces ; les mariages ont en effet généralement lieu plus tard dans la vie des filles, une fois qu’elles sont en capacité de prendre des décisions éclairées par rapport à leur corps, la grossesse et la charge d’un enfant.

Pour atteindre l’ODD 4 et l’Aspiration 6.52 relative à l’éducation dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine, il est essentiel de veiller à ce que les enfants laissés pour compte, et tout particulièrement les filles, aient accès à une éducation de qualité. En réalité, le manque de financement entraîne trop souvent un accès inégal et irrégulier des enfants réfugiés à une éducation de qualité.

C’est pourquoi Save the Children soutient le Partenariat mondial pour l’éducation et son appel auprès des gouvernements des pays en développement et des partenaires de développement afin de booster le financement intérieur (jusqu’à 20 % ou plus des dépenses publiques des États) et extérieur de l’éducation et de concentrer les ressources sur les besoins les plus pressants.

Le rôle complémentaire du financement extérieur est de mobiliser les ressources intérieures afin qu’aucun enfant ne soit laissé pour compte. Une crise ne doit pas signifier la fin de l’éducation. Le Sommet de l’Union africaine, ainsi que des événements tels que la campagne de reconstitution des ressources du GPE sont autant d’occasions de montrer un engagement financier ferme, ainsi que des mesures ambitieuses en faveur d’une éducation de qualité pour les filles en situation de crise.

Le rêve de Nyakat de devenir pilote nous rappelle qu’elle ne laissera pas son statut de réfugiée déterminer son avenir. La question qui demeure est la suivante : dans quelle mesure les pays d’accueil des réfugiés et la communauté internationale ont-ils la volonté de prêter l’attention nécessaire au développement des compétences, des capacités, des processus de réflexion et des connaissances de Nyakat et des autres enfants réfugiés en les émancipant par l’accès à des opportunités et des informations pertinentes, ainsi qu'à une éducation de qualité et abordable ? Ceci est une nécessité pour que ces enfants deviennent les acteurs, et non uniquement les observateurs, du développement de l’Afrique.

Que peuvent faire les États membres de l’UA au Sommet de l’UA ?

Réunis au Sommet de l’UA à Addis Abeba, Éthiopie, du 27 juin au 4 juillet, les États membres sont engagés dans un débat général sur la mobilisation du dividende démographique grâce à l’investissement dans la jeunesse, thème annuel pour 2017.

Premièrement, en se concentrant sur la jeunesse, il est essentiel de leur rappeler qu’investir dans les jeunes est impératif, compte tenu de la structure démographique actuelle de notre continent ; pourtant, cela ne suffira pas pour récolter les fruits du dividende démographique. Investir dans les enfants est également important pour garantir le dynamisme de la jeunesse.

Deuxièmement, pour atteindre l'ODD 4 et l'Aspiration 6 de l’Agenda 2063, les États doivent investir dans une éducation de qualité pour les enfants les plus laissés pour compte, en particulier les filles touchées par les crises humanitaires et les conflits.

Troisièmement, les enfants et les adolescents touchés par les crises doivent continuer d'apprendre et d'avoir accès à des services éducatifs de qualité, y compris à l'enseignement secondaire et supérieur dans le mois suivant leur déplacement.

Enfin, nous lançons un appel à la communauté internationale et régionale, aux institutions financières, au secteur privé et aux autres bailleurs afin qu’ils tiennent leurs engagements en faveur d’un Cadre complet de prise en charge des réfugiés, ainsi que ceux pris au cours d’autres événements mondiaux, internationaux et bilatéraux.

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