Serigne Mbaye Thiam : « Les enseignants, ces héros oubliés de la pandémie »
Serigne Mbaye Thiam (2e à partir de la droite), ex-ministre sénégalais de l'éducation et Alice Albright (1ère à de la gauche), actuelle Directrice générale du Partenariat mondial pour l'éducation, lors d'une visite à l'école Amadou Diagne Woré à Dakar au Sénégal. Juillet 2018. Crédit: GPE/ Carine Durand
Serigne Mbaye Thiam, ex-ministre sénégalais de l'éducation et Alice Albright, actuelle Directrice générale du GPE, lors d'une visite à d'école au Sénégal.
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Crédit : GPE/Carine Durand

Cette tribune a été précédemment publiée sur Le Point Afrique

La pandémie de Covid-19 a mis au défi la coopération internationale et mis en lumière l'urgence de renforcer la résilience des systèmes éducatifs fragiles. En 2020, alors que presque tous les pays ont été contraints de fermer temporairement leurs écoles pour faire face à la menace sanitaire, on estime à près de 1,6 milliard le nombre d'enfants impactés dans leur scolarité. Jamais, dans l'histoire, le secteur de l'éducation n'avait traversé une telle crise. Dans les pays à faible revenu, le risque qu'environ 24 millions d'élèves ne retrouvent jamais le chemin de l'école est bien réel. Les enfants les plus vulnérables, et particulièrement les filles, sont les plus durement touchés.

Alors que nous célébrons la Journée internationale de l'éducation ce 24 janvier, il convient de rappeler le courage des enseignants qui, face à la fermeture des établissements scolaires, se sont mobilisés chaque jour pour permettre aux élèves de continuer leurs apprentissages. Ces femmes et ces hommes, les héros oubliés de la pandémie, ont démontré le caractère essentiel de leur profession. Dans un monde complètement transformé par la crise du Covid-19, ces derniers ont fait preuve d'une incroyable résilience et déployé des efforts sans précédent pour assurer la continuité de l'apprentissage pendant les périodes de confinement.

Démonstration a été faite du rôle vital des enseignants…

Du jour au lendemain, les enseignants, les élèves et leurs familles ont dû s'adapter à l'enseignement à distance. En Afrique subsaharienne, les enjeux ont particulièrement été de taille. Peu de foyers ont accès aux équipements et à une connectivité nécessaires à la mise en place des nouveaux moyens d'apprentissage numérique. On estime que près de 89 % des élèves n'ont pas accès aux ordinateurs familiaux et 82 % n'ont pas Internet, faisant ainsi face à des barrières technologiques durant cette période de fermeture des écoles. Malgré tout, des initiatives individuelles et collectives, d'enseignants motivés et dévoués, ont permis d'accompagner les élèves vers cet apprentissage numérique. Sans formation technologique et souvent sans ressources financières suffisantes, les enseignants ont fait preuve d'innovation, de pragmatisme et d'abnégation pour permettre à leurs élèves d'accéder aux contenus à distance et assurer ainsi une continuité des enseignements.

… qui ont su accompagner les solutions innovantes

De nombreux pays ont investi dans le développement de solutions innovantes. Certains comme le Gabon, le Sénégal ou encore le Burkina Faso ont lancé des plateformes d'apprentissage en ligne. Pour contourner les difficultés d'accès à une connexion Internet, le Mali, le Cameroun et la Côte d'Ivoire ont eu recours à la radio et à la télévision pour diffuser des cours. D'autres pays, comme Madagascar ou le Maroc, ont imprimé des livrets pédagogiques qui ont été distribués aux apprenants.

Il ne faut pas oublier qu'au cœur de ces réponses se trouvent des millions d'enseignants. En effet, ce sont eux, ces 63 millions d'enseignants impactés par la fermeture des écoles, partout dans le monde, qui ont produit les cours numériques mis à disposition sur les plateformes en ligne. Ce sont eux qui ont enregistré les leçons ensuite diffusées à la radio et à la télévision. Ce sont eux, encore, qui ont improvisé un tutorat à distance et créé des groupes de soutien sur les réseaux sociaux pour maintenir le lien avec les apprenants. Ce sont eux, toujours, qui ont parcouru des kilomètres chaque jour pour collecter et noter les devoirs de leurs élèves. Ce sont les enseignants qui ont encouragé les familles à continuer à scolariser leurs enfants et sensibilisé les parents aux risques du décrochage, particulièrement pour les filles. Il faut donc aujourd'hui saluer l'engagement et le courage de la communauté enseignante. Non seulement pour avoir permis tant bien que mal à des millions d'enfants de continuer à apprendre. Mais également, et surtout, pour avoir fait preuve d'une capacité d'adaptation remarquable, pour avoir continué d'assurer leur mission, malgré les difficultés dans un contexte sans précédent.

Prévenir la crise de l'apprentissage derrière la crise sanitaire

Les enjeux auxquels nos sociétés sont confrontées aujourd'hui ne sont pas seulement sanitaires. La pandémie de Covid-19 a également mis en lumière les risques que ferait courir une crise de l'apprentissage dans le monde. Car rendre accessible à tous une éducation de qualité, c'est surtout s'engager à réduire les inégalités, prévenir les conflits et renforcer l'égalité entre les sexes. La crise du Covid-19 a révélé les faiblesses de nombreux systèmes éducatifs. Dès les premiers mois de la pandémie, le Partenariat mondial pour l'éducation (Global Partnership for Education, GPE, de son acronyme en anglais) s'est rapidement mobilisé : des fonds d'urgence de plus de 500 millions de dollars ont été débloqués, permettant ainsi d'atténuer les effets immédiats de la fermeture des établissements scolaires et d'accompagner la relance des systèmes éducatifs dans 66 pays.

Pour autant, de nombreux défis demeurent. Il est à présent urgent d'apporter une réponse multilatérale afin de garantir le financement de l'éducation et d'investir massivement afin de renforcer la résilience des systèmes éducatifs et d'offrir une formation de qualité aux enseignants. Ces derniers, qui jouent un rôle vital dans les progrès vers une éducation de qualité, sont notre priorité. C'est pour cette raison que le GPE a lancé un appel à financement d'au moins 5 milliards de dollars américains pour financer l'éducation dans les pays les plus vulnérables au monde. Il convient de comprendre que pour se relever, nos sociétés ont absolument besoin de l'éducation des enfants et de la communauté enseignante. Ce sont là des maillons essentiels de leur transformation vers un avenir mieux maîtrisé et plus serein.

* Serigne Mbaye Thiam est Vice-Président du conseil d'administration du Partenariat Mondial de l'Éducation (GPE). Actuel ministre de l'Eau et de l'Assainissement du Sénégal, il a été ministre de l'Éducation nationale du Sénégal après en avoir été ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

Serigne Mbaye Thiam (2e à partir de la droite), ex-ministre sénégalais de l'éducation et Alice Albright (1ère à de la gauche), actuelle Directrice générale du Partenariat mondial pour l'éducation, lors d'une visite à l'école Amadou Diagne Woré à Dakar au Sénégal. Juillet 2018. Crédit: GPE/ Carine Durand
Serigne Mbaye Thiam, ex-ministre sénégalais de l'éducation et Alice Albright, actuelle Directrice générale du GPE, lors d'une visite à d'école au Sénégal.
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