Les petites écoles et la quête du bonheur
Le Mali et la Guinée travaillent à l'élaboration d'approches pédagogiques adaptées aux petites écoles rurales. Ces activités font partie des plans globaux du secteur de l'éducation et sont spécifiquement soutenues par des fonds du GPE.
09 février 2017 par Douglas Lehman
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Lecture : 12 minutes
Quatre enfants hors de leur salle de classe au Mali, deux assis sur le seuil de la fenêtre tandis et deux autres se tenant dehors. Crédit: GPE

Novembre 2012, Lomé, Togo

C’était un de ces exercices destinés à réveiller tout le monde au milieu d'un atelier. Près de 30 représentants de la société civile de toute l’Afrique, rassemblés pour voir comment mieux soutenir l'Éducation pour tous dans leur pays, se tenaient tous debout pour écouter un représentant enthousiaste de Right to Education animer une activité de question – réponses.

Chacun de nous devait citer un droit « universellement reconnu ». Comme je viens des États-Unis, pays où ces droits ne sont généralement pas enseignés à l’école, je me suis soudain rendu compte, gêné, que je ne pouvais qu’imaginer ce que pouvaient être ces droits, et non les énumérer comme les autres membres du groupe.

Travaillant au Secrétariat du Partenariat mondial de l’éducation (GPE), j’étais censé connaître ces droits ! Tandis que je les écoutais, ce qu’ils disaient tous me semblait logique. Quand ce fut mon tour, au lieu de tenter d'expliquer mon ignorance, j'ai lancé avec ardeur : « Le droit à la quête du bonheur ! ».

La quête du droit à l’éducation : ne causer aucun préjudice !

Cela a fait rire tout le monde, et, j'imagine, en a fait réfléchir certains. Le « droit » que j’ai cité est issu de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis d’Amérique qui a permis au pays de s’émanciper de la Grande-Bretagne en 1776, et document que nous avons effectivement étudié à l’école.

L’exercice s’est ainsi terminé dans l’allégresse, et nous avons entamé une session enrichissante sur la définition du « droit à l'éducation » et ce que cela signifie pratiquement pour tous les pays confrontés à des difficultés dans l’offre d’une éducation de base de qualité à tous les enfants.

L’une des principales choses que j'ai retenues est le fait que quelles que soient les bonnes intentions en matière de développement international, il nous fallait être plus soucieux de toute action ou intervention qui puisse d’une façon ou d’une autre empiéter sur les droits d’autrui, en particulier dans le domaine de l’éducation.

Je le considère peut-être comme un corollaire du mandat du Réseau international pour l’éducation en situations d’urgence visant à ne pas causer de préjudice, chose que nous faisons lorsqu’on limite le droit d’un enfant à l’éducation.

Si le GPE reste engagé et impliqué en faveur d’une plus grande implication de la société civile dans les efforts accomplis pour atteindre l’Éducation pour tous, je considère ce corollaire de « ne pas causer de préjudice » dans les efforts auprès des coalitions de l’EPT au niveau des pays comme un potentiel positif considérable.

Septembre 1950, Kalona, Iowa, Etats-Unis

Brush Number 8 Public School, Comté de Johnson, Iowa, Etats-Unis, circa 1952

Brush Number 8 Public School, Comté de Johnson, Iowa, Etats-Unis, circa 1952

Brush Number 8 Public School, Comté de Johnson, Iowa, Etats-Unis, circa 1952

L’adolescente se tenait devant la classe de trente enfants âgés de 5 à 15 ans. C’était son premier jour de travail en tant qu’enseignante employée par la commission scolaire (ou l’association de parents) de « Brush numéro 8 ».

À peine quinze mois plus tôt, elle fréquentait encore le lycée de la ville. Comme elle n’avait jamais été élève dans une école rurale où les élèves des neuf années du cycle d’éducation élémentaire étudiaient ensemble dans la même salle de classe, elle savait que cela représenterait pour elle un défi.

Elle avait des amis et un ou deux cousins de bon conseil qui enseignaient cette année-là dans la même région, et n’était donc pas totalement dépourvue de soutien.

Mais elle se trouvait confrontée à un énorme défi pédagogique : au cours de ses études, elle s’était trouvée dans des classes où un enseignant avait enseigné directement à une salle pleine d'enfants à peu près du même âge ; et elle était censée faire progresser simultanément au gré de leurs leçons des groupes d'élèves de neuf classes d'âge différentes.

Les quatre enseignements d'une classe à plusieurs niveaux

Soixante-cinq années plus tard, cette femme remarquait que quatre avantages comparatifs permettaient de réussir :

  1. Pour chaque manuel scolaire utilisé à chacun des neuf niveaux, l’enseignante avait le « guide de l’enseignant » correspondant, contenant, entre autres, les réponses à tous les exercices du manuel de l'élève ;
  2. Tandis que les parents étaient essentiellement des agriculteurs au niveau d'études peu élevé, ils veillaient à ce que l'école apporte les bases à leur enfant et étaient attentifs à toutes les préoccupations dont elle leur faisait part ;
  3. Le conseiller pédagogique du comté qui lui avait rendu visite dans sa classe deux fois lors de cette première année était bien moins intéressé par son travail que par les critiques constructives qu'il pouvait lui apporter pour qu’elle améliore sa pratique.
  4. Les élèves eux-mêmes connaissaient si bien ce système de classe unique et étaient si impliqués dans son bon fonctionnement, qu’une grande partie de l’organisation d’une journée scolaire typique était facilitée, voire cogérée, par eux. Elle notait dans ses remarques que les adolescentes étaient généralement les plus serviables et efficaces pour organiser et animer les exercices aux côtés des élèves plus jeunes.

Avril-Mai 2016, Bamako, Mali, et Conakry, Guinée

J’ai eu la chance d’assister à la revue sectorielle conjointe de chacun de ces deux pays et de me rendre compte des réussites accomplies dans le secteur éducatif au cours de l’année 2015. Dans les deux cas, le pays a su être proactif et relever le défi de l'accès à la scolarisation dans les zones rurales.

Au cours de la période 1960 – 2010, dans les deux pays, le recours aux petites écoles où des élèves de plusieurs niveaux d’études travaillent ensemble dans une salle de classe unique (apprentissage à plusieurs niveaux) est un art qui s’était largement perdu.

On préférait alors demander aux enfants de quitter leur propre village à pied, de traverser montagnes, forêts, plaines, rivières et routes jusqu’à une « école de regroupement » (consolidator school) dans une autre communauté distante de plusieurs kilomètres.

Distance domicile - école

Les raisons de ces trajets imposés étaient à la fois pédagogiques et économiques : de plus grandes écoles signifiaient moins d’établissements, moins de chantiers de construction, davantage de commodités près des écoles tels que les centres de santé, les marchés et les services publics, un accès facilité aux enseignants pour leur formation continue, des calendriers d'inspection des établissements simplifiés, etc.

Mais surtout, les enseignants n'avaient pas à gérer simultanément des élèves à différents niveaux d'études. L’art pédagogique de l’enseignement dans une classe unique a donc progressivement disparu du système scolaire public tandis qu’augmentaient les taux de scolarisation, et la classe unique des années 50 est devenue le grand établissement d'aujourd'hui.

Dans une certaine mesure, dans de nombreux pays, cet art a cependant survécu au sein du système scolaire confessionnel parallèle où les enfants bénéficient d’une instruction dans leur propre communauté.

Le gros problème reconnu par les ministères de l’éducation du Mali comme de la Guinée est tout simplement que le modèle de regroupement au sein de l’école publique n’a pas fonctionné.

En effet, des études ont montré que les écoles de regroupement ne parvenaient pas à offrir un accès équitable à l’école pour les enfants venant à pied des villages voisins.

Un accès équitable, en particulier pour les filles des petites communautés rurales

Pire, cette discrimination systémique touchait de façon disproportionnée les filles issues des ménages à faible revenu dans les villages isolés. En effet, dans de nombreuses cultures, le fait que les filles accomplissent les tâches domestiques est privilégié ; une fille n'a tout simplement pas le temps de faire le trajet !

C’est comme si le système éducatif était conçu pour cumuler les injustices sociales, rendant bien plus difficile pour les filles que pour les garçons d'achever leur éducation de base, ces derniers se voyant confier une charge de travail moindre que celle de leurs sœurs, ou que pour les enfants issus des familles les plus aisées qui ne sont pas accablés par les tâches domestiques.

Ainsi, l'école de regroupement n’était une alternative plausible qu’envisagée en l’absence d’un engagement envers l’Éducation pour tous, ou bien si l’on se projetait quelques décennies dans le futur, à une époque où il serait possible de proposer aux enfants des transports scolaires ponctuels quotidiens.

À partir du moment où un pays passe d’une « éducation de masse » à l’Éducation pour tous, il est nécessaire de se focaliser sur la réforme des politiques et pratiques qui limitent l’accès de tout enfant à une éducation de base de qualité… ainsi que sa quête de bonheur !

Le Mali comme la Guinée œuvrent désormais au développement d’approches pédagogiques adaptées aux petites écoles rurales. Ces activités font partie du plan sectoriel de l’éducation global et sont spécifiquement soutenues par les financements du GPE mis à disposition (41,7 millions de dollars pour le Mali en 2013 et 37,8 millions de dollars pour la Guinée en 2014). Il sera tout à fait intéressant de suivre cette évolution.

J’ai l’honneur et le privilège d’être (i) le Responsable pays du Secrétariat du GPE pour le Mali et la Guinée, (ii) l’humble participant de l’atelier de Lomé, et (iii) le fils de l’enseignante de Brush Numéro 8

Pour en savoir plus sur l’action du GPE au Mali et en Guinée

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