A la recherche de l’équité : les leçons imprévues que les enfants apprennent à l’école

Les « programmes cachés » peuvent, par inadvertance, augmenter l'écart d'équité entre les pauvres et les privilégiés. Mais, qu'est-ce que cela implique? Et comment les enseignants peuvent-ils devenir plus conscients de son importance et de son influence ?

12 juin 2018 par Christabel Pinto, Room to Read
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Lecture : 8 minutes
Des élèves de l'école maternelle d'Avondale au Zimbabwe dans leur salle de classe. Crédit: GPE/ Carine Durand
Des élèves de l'école maternelle d'Avondale au Zimbabwe dans leur salle de classe.

Lorsque j’examine les diverses données d’évaluation de l’apprentissage issues des interventions en matière d’éducation, mon attention est retenue par les points de données proches de zéro, et j'imagine les vies existant derrière ces chiffres. Qui sont les enfants que nous ne parvenons pas à toucher ? Souffrent-ils de la faim, de maladies, de traumatismes ? Ont-ils des besoins d’apprentissage différents, non satisfaits par un système scolaire qui manque de ressources ? Peut-être ne parlent-ils pas la langue d’enseignement ? Appartiennent-ils à une communauté déplacée ou marginalisée ?

Ces facteurs se juxtaposent, et, pour les populations vulnérables, les ravages de la pauvreté extrême peuvent être si accablants que l’apprentissage en devient un luxe. Au-delà de la satisfaction des besoins des populations vulnérables, nous pouvons poursuivre notre quête d’équité en examinant la nature même des interventions en matière d’éducation que nous développons pour les enfants défavorisés.

Enseigner des compétences aux pauvres

Dans le secteur éducatif, il existe un courant en faveur de la conception de programmes scolaires et d’approches pédagogiques « simples » et « systématiques », qui proposent « l’enseignement direct » de compétences. Les enseignants sont souvent formés pour suivre une séance détaillant chaque déclaration, question et action selon une routine régimentée répétée à chaque leçon.

Cette approche a des raisons pragmatiques, notamment le temps limité de formation des enseignants et les difficultés rencontrées dans les salles de classe, liées à la pauvreté notamment. Si les évaluations montrent que de nombreux enfants apprennent les compétences de base grâce à cette approche, quels sont les enseignements inattendus qu’on peut en tirer ?

Le programme caché du travail scolaire

« Le programme caché » fait référence aux leçons apprises par les enfants, mais qui ne sont pas ouvertement présentées comme telles, c’est-à-dire la transmission de normes et de valeurs dans la classe et l’environnement social de l’école.

Aux États-Unis, une importante étude portant sur le travail à l’école dans l’ensemble du spectre économique a révélé les différences liées aux classes à la fois dans le type de travail demandé aux élèves et dans les attentes liées au traitement de ce dernier (Anyon, 1980).

Pour les enfants des établissements de la classe ouvrière, le travail suivait les étapes d’une procédure mécanique sans aucun encouragement de la pensée analytique. Dans les écoles de la classe moyenne, il s’agissait de « trouver la bonne réponse », ce qui impliquait souvent de prendre une décision, mais ne nécessitait ni créativité ni analyse. Dans les écoles des milieux économiques privilégiés, le travail demandé encourageait la réflexion individuelle, la créativité et le développement de capacités analytiques.

Anyon a pu conclure que ces programmes cachés contribuaient à perpétuer les divisions de classe déjà existantes : les enfants issus des populations pauvres « étaient préparés à effectuer un travail mécanique et routinier dans le futur », tandis que les enfants des milieux riches apprenaient des compétences qui leur permettraient d'occuper des postes à responsabilités.

Lorsqu’on observe la tendance des programmes internationaux de développement sous ce prisme, pour quelle classe économique préparons-nous les enfants ? Les approches d’enseignement régimentées étaient axées sur les compétences de base, ne laissant aucune place à la pensée créative ou indépendante des enfants. Les enfants des écoles qui n'attachent aucune valeur à leur pensée et expression indépendantes seront-ils équipés pour concurrencer les enfants des milieux privilégiés dans des opportunités d’emploi qui leur permettraient de surmonter les barrières de classe ?

Au-delà des compétences de base

Si nous pensons que l’éducation est une condition de l’accès à des opportunités permettant une vie meilleure, nous devons examiner, de façon critique, les enseignements prévus et non prévus des programmes éducatifs destinés aux pauvres. Enseigner des compétences est important, mais ne réduit pas suffisamment l’écart entre les pauvres et les privilégiés, si le processus de l’apprentissage se limite au suivi mécanique de procédures.

Il nous faut donc :

  1. avoir des aspirations ambitieuses. Les aspirations que nous avons pour les enfants pauvres ne correspondent pas à celles que nous aimerions pour nos enfants. Pensez aux jeunes enfants que vous connaissez : exprimer ses idées et ses opinions, poser des questions, être imaginatif, avoir une voix qui compte font partie intégrante du développement d'un jeune être humain. Si les enfants que nous aidons vivent souvent dans des conditions difficiles, ils ont pour autant les mêmes besoins que nos propres enfants en termes d’éducation.
  2. valoriser la qualité des interactions en classe.. Une éducation de qualité nécessite de valoriser à la fois les résultats et le processus, et les indicateurs de réussite doivent refléter ce principe. Outre savoir combien de mots un enfant peut lire correctement en une minute, il nous faut nous poser des questions du type : les enfants sont-ils invités à partager leurs idées et exprimer leur opinion ? Y’a-t-il des opportunités d’expression créative ? Les enfants apprennent-ils des compétences susceptibles de leur permettre de surmonter les obstacles de classe ?
  3. fournir aux enfants l’accès à un ensemble de livres de grande qualité.. Il est possible, et souhaitable, d’enseigner les compétences de base tout en favorisant le développement global des enfants. Une gamme de livres de fiction et d’ouvrages généraux de grande qualité peut y contribuer, si elle est utilisée efficacement et mise à la disposition des enfants. Les livres peuvent élargir la vision du monde des enfants, stimuler leur imagination, accroître leurs connaissances et encourager leur réflexion, même lorsque le processus de scolarisation n'y parvient pas.

La réalisation de l’Objectif de développement durable des Nations unies d’assurer une « éducation de qualité, sur un pied d’égalité » exige que nous traitions les causes profondes de l’inégalité économique. Ce n’est que lorsque les initiatives en matière d’éducation seront conçues dans le but de briser les cycles de pauvreté au lieu de potentiellement les perpétrer, que nous pourrons affirmer offrir à tous « une éducation de qualité, sur un pied d’égalité ».

Bibliographie

Anyon, J (1980). Social Class and the Hidden Curriculum of Work.  Journal of Education, 162 (1), 67-92

Portelli, J. P (1993). Exposing the hidden curriculum.  Journal of Curriculum Studies, 25 (4), 343-358

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