Les 7 péchés capitaux des programmes de développement professionnel des enseignants

Les acteurs du développement, en dépit de leurs bonnes intentions commettent encore parfois des erreurs dans leur manière de soutenir la formation des enseignants dans les pays en développement. Voici 7 des erreurs commises par action et par omission, et comment les éviter.

06 janvier 2020 par Mary Burns, Escola Superior de Educação de Paula Frassinetti
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Lecture : 6 minutes
Un enseignant travaillant avec ses élèves dans sa salle de classe au Niger.
Un enseignant travaillant avec ses élèves dans sa salle de classe au Niger.
Credit: PME/Kelley Lynch

Pourquoi tant de programmes de développement professionnel des enseignants sont-ils si problématiques ?

Nous pouvons évidemment mettre en avant les faiblesses des systèmes, confrontés à des enseignants mal formés et un manque de ressources. Cela rend certainement la tâche encore plus difficile, mais cela n'excuse pas entièrement la nature problématique des programmes de développement professionnel des enseignants (DPE) financés par les donateurs.

Bien au contraire, comme je le soutiens ici, que ce soit par ignorance, par inadvertance, par oubli ou du fait de leur mauvaise conception, ceux d'entre nous qui financent, conçoivent et mettent en œuvre des programmes de perfectionnement professionnel des enseignants omettent souvent bien des choses - ignorant ce que la recherche estime nécessaire - ou fautent par leurs actions – à travers des pratiques pouvant être préjudiciables aux enseignants que nous entendons aider.

Ce blog analyse sept des erreurs les plus graves les plus souvent commises.

1 : l’idolâtrie

Dans les programmes de DPE financés par les donateurs, l'accent est très souvent mis davantage sur les statistiques que l’apprentissage proprement dit, l'indicateur le plus important étant le « nombre d'enseignants formés ». Cet indicateur sensé être un « point d’entrée » est traité comme un « résultat », et nous aimons beaucoup l'utiliser comme mesure du succès, confondant ainsi les « chiffres » avec « l'impact ».

Ce fétichisme a tendance à faire passer la quantité avant la qualité, et conduit à l'utilisation de mécanismes de formation (comme l'approche en cascade) que nous savons inefficaces, mais qui nous aident à atteindre cette mesure des plus sacrées qu’est : « le nombre d'enseignants formés ».

L'idolâtrie des nombres est le péché capital de ces programmes de DPE, appuyée par son propre langage iconographique et ses incantations (« échelle », « portée », « durabilité »). Elle est également déterministe car, elle conduit aux transgressions ci-dessous.

2 : la parcimonie

Dans de nombreux domaines de la vie, moins on en fait, et mieux c'est. Mais en matière de développement professionnel des enseignants (DPE), moins c'est moins et plus c'est plus. Des études expérimentales montrent que, plus les enseignants suivent des programmes de PDE, plus les résultats d'apprentissage de leurs élèves s’améliorent (Wei et al. 2009; Yoon, et al. 2007).

Plus ils participent à des programmes de DPE, plus les enseignants en font dans leur salle de classe. Un programme de DPE peut par exemple permettre une étude approfondie d’un domaine pratique en particulier, aider les enseignants à saisir quelques-uns des nombreux concepts de base inhérents à la pratique d’un bon enseignement et donner du temps pour la conception des leçons, la pratique, le soutien continu et les interactions répétées avec le nouveau contenu et les nouvelles approches (Darling Hammond & Bransford, 2005).

3 : l’exclusivité

De nombreux programmes essaient souvent de « corriger » un enseignement médiocre en se concentrant uniquement sur un des acteurs de la scène éducative : l'enseignant. Pourtant, un enseignement médiocre n'est pas seulement une des causes du mauvais état d’un système éducatif. C'en est aussi l’une des caractéristiques.

Cette focalisation exclusive sur les enseignants se traduit par un réductionnisme dangereux nous amenant à ignorer les nombreux autres acteurs de l'éducation qui influencent l'enseignement - les responsables d’établissement ou les autorités éducatives locales par exemple. Il en résulte un diagnostic erroné des causes profondes des mauvaises performances scolaires (comme par exemple, estimer qu’une pratique centrée sur l'enseignant est un problème pédagogique, alors qu'il peut s'agir d'un problème lié au programme ou à une évaluation) et la prescription de solutions inappropriées pour y mettre un terme (telle que la promotion d’un enseignement centré sur l'apprenant lorsqu’une réforme du programme est plutôt nécessaire, par exemple).

En prescrivant de manière excessive la formation des enseignants au détriment de problèmes plus vastes liés à l'écosystème tels que le leadership, la culture organisationnelle ou les conditions de travail, le DPE est perçu comme la panacée pour tout ce qui affecte un système. Ceci malgré le fait que la recherche suggère que la résolution des problèmes non pédagogiques peut avoir un impact plus important sur l'amélioration de la qualité de l'enseignement que les innovations axées exclusivement sur les enseignants et l'enseignement (Hanushek et Woessman, 2007).

4 : la contrainte

Alors que de nombreux programmes d'éducation se concentrent sur la formation du plus grand nombre d'enseignants possible, le moyen d'y parvenir (qu’est le DPE) est souvent conceptualisé, conçu et mis en œuvre sans consultation préalable du principal destinataire qu’est l'enseignant.

En excluant l'enseignant, nous risquons d'imposer des pratiques dites universelles qui ne tiennent pas forcément compte des nombreux défis auxquels les enseignants sont confrontés, et ne parviennent pas à intégrer leurs propres connaissances et réussites. Le DPE est de ce fait, « fait » aux enseignants plutôt qu’ « avec » les enseignants. Ainsi, il est souvent mal adapté, inefficace et mal apprécié.

5 : le dénigrement

Nombre de programmes de DPE incarnent le préjugé des faibles attentes de la part des enseignants. Ces derniers sont perçus comme étant des sortes de « tabula rasa » - « des tables rases à remplir » (Highsmith, 1952), des problèmes à résoudre.

Si nous pensons si peu aux enseignants, nous leur exigeons peu, leur donnons peu et recevons encore moins en retour. Ce modèle d'enseignant déficitaire du DPE nous amène à éviter d'aborder les domaines que les enseignants trouvent difficiles et qui pourraient avoir un impact réel, car beaucoup d'entre nous pensent que les enseignants ne sont pas prêts à le faire.

La simplification excessive de concepts qui sont véritablement complexes supprime la rigueur de nombreux programmes de DPE et réduit les interventions au langage et à la pensée clichés. Et lorsque les enseignants peinent, sont confus ou ne mettent pas en œuvre ce qu'ils ont appris, nous considérons cela comme une preuve supplémentaire de leur manque de capacité, plutôt que comme une partie naturelle du processus d'apprentissage lui-même - ou comme un échec de notre part.

6 : l’orgueil

Concomitant avec le dénigrement, vient l'orgueil. Si les enseignants sont des problèmes à résoudre, alors les fournisseurs de programmes de DPE en sont les réparateurs - bien que beaucoup n'aient jamais été des enseignants ou n’aient été enseignés depuis si longtemps qu’ils ne savent plus à quoi ressemble une salle de classe, ou n'ont jamais été confrontés aux mêmes conditions de travail que ces enseignants qu’ils veulent former (je suis moi-même concernée par les deux dernières hypothèses).

Les formateurs d'enseignants qui manquent d'expérience se concentrent davantage sur l'information que sur les expériences. Ils ne peuvent pas profondément modéliser les comportements souhaités et ne peuvent pas résoudre de problème qu’ils n’ont jamais vécu. Ils manquent d'empathie - la capacité de « se mettre avec imagination à la place de personnes ayant vécu des expériences radicalement différentes » (Paul, 2014).

De plus, l'orgueil peut produire trois conséquences néfastes. La première est la version éducative de l’« affection iatrogène » - ou le médecin qui rend le patient malade ou, dans ce cas, les prestataires de DPE fournissant des informations erronées ou modélisant une mauvaise pratique. La deuxième est la « naïveté pédagogique » (Miles, 1995) qui consiste à promouvoir des approches théoriques non pertinentes ou inappropriées dans certains contextes. Enfin, cela porte atteinte à la confiance des professionnels - les enseignants doivent s'attendre à ce que leurs formateurs aient à la fois de l'expérience et de l'expertise.

7 : l’abandon

Au moment même où les enseignants ont besoin du plus grand soutien – lors de la mise en pratique des enseignements dans leur salle de classe des enseignements reçus dans les salles de conférence des hôtels – ils n’en ont généralement plus.

Les enseignants ont besoin de soutien en termes de supervision, de soutien externe et de leurs pairs et de modèles scolaires afin de pouvoir, comme le note Deborah Ball, avoir « des opportunités d'apprendre sur la pratique en pratiquant ». De tous ceux-ci, le soutien de supervision est le plus critique. Des recherches menées dans d'autres professions montrent que les employés qui participent à des formations classiques et font état de cultures organisationnelles favorables sont beaucoup plus susceptibles de transférer leur apprentissage que ceux qui ne bénéficient pas d'un tel soutien organisationnel (Bennet et al. 1999) .
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Ces erreurs de développement professionnel entraînent souvent un bon développement professionnel finalement. Un mauvais DPE est souvent retardé - ses effets délétères ne se font pas immédiatement ressentir. Comme les péchés d’un père peuvent avoir des répercussions sur la vie de son fils, les erreurs de développement professionnel du passé ont des répercussions sur les enseignants et les élèves d’aujourd’hui et demain.

Comment améliorer tout cela ?

Les programmes de développement professionnel des enseignants financés par les donateurs offrent un accès à - et favorise - l’équité en matière d’expériences d'apprentissage. Ils souffrent également de graves faiblesses systémiques - bureaucratisation, massification, dépersonnalisation et sur-standardisation - qui diluent sa valeur pour les bénéficiaires visés.  

Pourtant, nous pouvons encore travailler à les réformer de trois manières. Tout d'abord, par une véritable réflexion sur nos propres performances, croyances et valeurs, en tant qu'organisations et individus, alors que nous nous engageons à nous améliorer. Ensuite, en développant une doctrine et une épistémologie communes sur l'enseignement, l'apprentissage des enseignants, le développement professionnel de qualité des enseignants et la gestion du changement qui guident, humanisent et diversifient le financement, la conception et la mise en œuvre du développement professionnel des enseignants financé par les donateurs.

Enfin, nous avons besoin d’avoir foi aux enseignants avec lesquels nous travaillons, qu’ils soient dévoués à développer le meilleur apprentissage professionnel possible, et fasse preuve de la même volonté et du même zèle vis-à-vis de la formation des enseignants, que celui dont ils font preuve quand il s’agit d’enseigner les enfants. 

Si chaque enfant mérite une bonne éducation, alors chaque enseignant mérite un développement professionnel de qualité. Les donateurs et les contractants ont une obligation fiduciaire de veiller à ce que cela soit toujours une réalité. Mieux, il s’agit là d’une obligation morale.

Références

  • Darling-Hammond, L. & Bransford, J. (2005). Preparing teachers for a changing world: What teachers should learn and be able to do. San Francisco, CA: Jossey Bass.
  • Hanushek, E.A. & Woessman, L. (2007). The role of education quality in economic growth. World Bank Policy Research Working Paper 4122. Washington, DC: The World Bank Group.
  • Highsmith, P. (1952). The Price of Salt. New York, NY: W.W. Norton Company.
  • Miles, M. (1995). Foreword. In T. R. Guskey and M. Huberman (Eds.), Professional Development in Education: New Paradigms and Practices (pp. vii–ix). New York, NY: Teachers College Press.
  • Paul, L. A. (2014). Transformative Experience. Oxford, U.K.: Oxford University Press.
  • Yoon, K.S. et al. (2007, October). Reviewing the Evidence on How Teacher Professional Development Affects Student Achievement. Washington, DC: U.S. Department of Education

Lire aussi

Dear Mary,
Thank you for this interesting synthetic article.
I couldn`t agree more with you on these `sins`. I strongly believe that the supportive and supervisory role of headteachers can`t be overstressed as they are the closest managers of teachers.

Very interesting breakdown. I have to agree to these points, most times and in most donor projects a lot of key success factors are overlooked.
These sins do not only apply to TPD but many other donor funded projects.
Teachers, contractors and donors have to work together to ensure the aims of the TPD are met.

I thought this was great; thoughtful, accurate, and compelling. Thank you.

Thank you for an excellent analysis of these 7 sins! I particularly liked your analysis of Exclusivity, and the example of “promoting learner-centered instruction when curriculum reform is what is needed.”
This makes me think of another sin: Conceit. I’m thinking here of the claim that there’s a ‘global learning crisis’ (which is true) and that it’s because “children are failing to learn” – which is nonsense, and also very unfair to children, since ‘learning’ is one thing ALL children invariably do, all the time. The problem is that, being generally rather smarter than fossilized education systems, children aren’t always learning what alien adults from strange societies (like urban govt departments or foreign aid agencies) think they ought to be learning. And that is partly because the alien adults have not understood that it isn’t sensible to expect children in under-resourced schools with little or no pre-school experience and education in an unfamiliar dialect (or even a completely new language) to achieve after just two years (grade 1 and grade 2) the ability to read at a level western kids need five years to achieve (2 years pre-school, I year reception class, then grades 1 and 2). So the real learning crisis is actually the failure of donors and governments to learn where the problem really lies: the conceit of curricula and assessment systems based on very different realities, leading to wasteful investments in pursuit of unachievable goals and unrealistic expectations, when what’s really needed is locally adjusted and genuinely learner-centered curricula (rather than textbook-centered memorization skills assessed by counting wcpm of previously unseen texts – “not fair, teacher, they learn that in grade 4!”).

Another one you hit out of the park, Mary. Thanks for this cogent, concise, yet comprehensive coverage of this critical topic. In a blog I posted with IIEP last year, I distinguished between teachers' intrinsic and extrinsic capacity, addressing your Sin #3, Exclusivity. I'm also drawn greatly to Sins #6 and #7, Hubris and Abandonment. Teachers have to be given opportunity (and authority) to guide parts of their own professional development. In this regard, I like to talk about supervision as a dialogic process and to place great emphasis on the regular operation of school-based education communities of practice that involve all educators. Thanks for another great contribution to our collective professional reflection.

Thank you, everyone. I'm sorry I didn't see these comments until now. Aways humbling to read people's comments and see the insights that motivations. Really this is about the larger mega-sin: expediency. We all do it (Me, too! I'm not pure!). The field is so full of good, committed, caring people but the system is industrialized and politicized.

Now that you have listed the 7 sins often committed by those providing professional development for teachers in developing countries, how about listing what to do. I have been struggling with this, editing and re-editing the professional development I provide to preschool teachers in Sierra Leone for 4 years. Maybe an on-line class, a conference session at OMEP, anything helpful would be appreciated,

En réponse à par Brenda Blair

Hi Brenda,

Thanks for your questions and suggestions:

1. I was hoping the answers would be evident in the critiques, so my apologies that that they were not clear. How to fix PD: I would strongly advocate the souls searching I recommended at the end of the article. More pragmatically: We need to look at the whole education system, not just teachers. We need highly skilled people who have deep coaching and teaching experience working with teachers. IREX uses teachers to teach teachers—I think this is the way to go. We need to talk to teachers about needs and goals versus imposing on them national or donor imperatives (There’s hopefully an alignment here). We need to provide ongoing, high quality, support based PD and coaching and support; and we need to apply a “funds of knowledge” approach to teachers or an appreciative inquiry approach—viewing them as people with skills and certain experiences as opposed to barriers to be managed (especially older teachers—the ageism of our field is often breathtaking! Age does not always correlate with resistance/acceptance. Finally (here) we have to move from this project-based approach which forces us to focus only on our part of the elephant to a systems approach that targets the whole system and incorporates the efforts of ranges of stakeholders (versus the organization that won the contract).

The sticky part is the high numbers donors often want, which we can’t change. However, we can’t do more with less; we can only do less with less. Donors know this, but they live in a hyper-accountability world.

2. Other blogs that may offer answers to doing PD better (You should also check other blog posts besides mine on GPE. I can also send some other resources if you write me through EDC website):
a. https://www.globalpartnership.org/blog/no-experience-necessary
b. https://www.globalpartnership.org/blog/lets-commit-teachers-and-give-th…
c. https://www.globalpartnership.org/blog/tale-two-teachers-part-2
d. https://www.globalpartnership.org/blog/five-models-teacher-centered-pro…
3. I would love to see some kind of “So you want to work with teachers? Take this course then…” course. I’d be willing to be a part of it and dedicate some time pro bono to this. Do you have ideas on funding, logistics, organization? GPE maybe?

I hope I've answered everything.

Cheers,

Mary

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