Pourquoi l’Afrique doit faire de l’éducation des populations déplacées une priorité

Les cadres régionaux africains ne tiennent pas suffisamment compte de la protection et l’éducation des enfants, en particulier des filles et des femmes, qui sont pourtant les principales victimes des déplacements et des conflits.

04 septembre 2019 par Juliet Kimotho, Forum for Africa Women Educationalists Regional Secretariat
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Lecture : 5 minutes
Des élèves dans une salle de classe temporaire dans la région du Lac-Tchad.
Des élèves dans une salle de classe temporaire dans la région du Lac-Tchad.
Credit: Ministère de l'éducation du Tchad

Lors d’un conflit, l’éducation est interrompue et les institutions éducatives deviennent souvent des cibles, ce qui entraîne un important ralentissement du processus d’émancipation socioéconomique continue de la population.

Généralement, cette perturbation se caractérise par la destruction des terres et des infrastructures matérielles, le déplacement des élèves et des enseignants du fait de l’insécurité, la fermeture récurrente d’écoles, l’interruption du processus d’enseignement et d’apprentissage. Pire, expose aussi davantage les élèves à diverses formes de violence, telles que le recrutement pour devenir enfants soldats, les kidnappings, les viols, les mariages forcés, les grossesses précoces et divers autres traumatismes durables, voire la mort.

Les systèmes éducatifs africains pâtissent énormément des conflits

Un rapport de 2018 intitulé L’éducation attaquée et publié par la Coalition mondiale pour la protection de l’éducation contre les attaques, révèle la terrible destruction à laquelle sont confrontés les systèmes éducatifs dans les guerres et conflits récents ayant sévis dans 18 pays africains entre 2013 et 2017.

Selon le rapport, ces pays (Burkina Faso, Burundi, Cameroun, République centrafricaine, Tchad, République démocratique du Congo, Égypte, Éthiopie, Kenya, Libye, Mali, Niger, Nigéria, Somalie, Afrique du Sud, Soudan du Sud, Soudan et Zimbabwe) avaient connu plus de cinq affaires de violence contre leur système éducatif au cours de la période étudiée.

Au Soudan du Sud, près de 800 institutions éducatives ont été des cibles d’attaques et plus de 900 élèves et personnels de l’éducation ont été blessés. De même, plusieurs centaines d’élèves ont été recrutés de force par des groupes armés.

Au Nigéria, plus de 1 500 écoles et universités ont été attaquées, essentiellement par Boko Haram, ou utilisées à des fins militaires par les forces de sécurité du pays. Des attaques qui ont entraîné les enlèvements, les meurtres ou les blessures de plus de 1 000 élèves et éducateurs à tous les niveaux du système éducatif.

Le rapport montre également la double tragédie des femmes et des filles, ciblées du fait de leur sexe, non seulement comme victimes de violence sexuelle, mais également par des groupes armés opposés à l’éducation.

Les cadres régionaux ne font pas mention des besoins des déplacés ou réfugiés

Même avec suffisamment de données probantes sur l’ampleur de la destruction des systèmes éducatifs, les cadres régionaux développés pour orienter la remise en état de ces systèmes ne traitent pas de façon adéquate des moyens de réintégrer les élèves ayant survécu.

Face à ces lacunes des cadres régionaux, l’Union africaine a déclaré 2019 comme étant l’année de la création de solutions durables pour les personnes réfugiées, les personnes rapatriées et les demandeurs d’asile. La Politique 2018 de la CAE pour l’égalité hommes-femmes, lancée par la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) ne traite pas de la place des femmes et filles réfugiées et des personnes déplacées internes (PDI) dans l’éducation.

L’Article 5.2 oblige pourtant les États membres de la CAE à « accroître l’accès aux opportunités d’éducation et de formation pour les femmes, les filles et les garçons et à veiller à l’élimination de toutes les formes de discrimination dans le secteur pour améliorer le développement du capital humain dans la région. »

Le paragraphe 5.2 b, en particulier, demande aux États-membres de « développer des mécanismes visant à garantir des taux d’inscription, de rétention et de transition de tous les garçons et filles, notamment ceux ayant des besoins spécifiques en éducation à tous les niveaux ». Il ne mentionne cependant pas les groupes vulnérables (PDI et réfugiés).

Le Protocole de la CEDEAO sur l’éducation et la formation exclue également les groupes vulnérables dans l’obligation des États membres à garantir l’intégration dans l’éducation. Dans l’article 5 (4) de la Coopération pour la prestation de services d’éducation de base et secondaire, il fait référence aux groupes spéciaux dans le sens de ceux qui sont défavorisés « socialement » et physiquement en stipulant que : « Les États membres doivent fournir une aide spéciale aux groupes les plus défavorisés socialement et physiquement pour avoir l’accès à une éducation de base, mais cette mesure ne devra pas porter préjudice aux critères d’admission habituels. »

La 34ème Campagne baptisée Le Genre : Mon Agenda (GIMAC), qui a eu lieu en juin à Niamey, au Niger, a évoqué d’autres cadres régionaux ne mentionnant pas l’inclusion des PDI dans les efforts en matière d’éducation, par exemple le protocole de la SADC sur l’éducation et la formation, le protocole de la SADC sur l’égalité des sexes, la loi modèle de la SADC sur l’éradication des mariages d’enfants, et l’engagement de l’ASE pour une éducation sexuelle complète.

Les contributions de la société civile sont essentielles à une bonne planification

Il faut que les gouvernements impliquent largement les organisations de la société civile dans l’élaboration et l’évaluation de plans d’action et de budgets nationaux et régionaux pour obtenir des informations et des données probantes sur ce qui fonctionne.

Les gouvernements devraient organiser des forums de débat national pour permettre à l’État, aux OSC, au secteur privé, aux corps professionnels et aux organes représentant les intérêts des groupes vulnérables d’avoir des discussions sur les questions de politiques et de plaidoyer en matière d’inclusion des filles et femmes réfugiées. Ceci devrait alors informer des forums semblables au niveau local et continental.

La Conférence sur l’éducation des filles en situation de conflit et post-conflit organisée en mai 2019 par le FAWE en partenariat avec le Ministère des Affaires étrangères du Kenya, le Bureau de la Paix et de la Sécurité de l’UA et le gouvernement canadien, est un bon exemple de ce type de collaboration.

Cette conférence a permis le développement d’une position africaine commune sur le déploiement de l’éducation pour les femmes et les filles dans les situations de conflit et post-conflit baptisée : Appel à l’action pour l’éducation des filles et des femmes dans les situations de conflit et de post-conflit en Afrique. Celui-ci détaille les bonnes pratiques, mécanismes et approches que les États membres de l’UA peuvent appliquer pour garantir l’intégration complète des filles et femmes déplacées, rapatriées et réfugiées dans les systèmes éducatifs de leurs pays d’accueil ou d’origine.

Des stratégies et outils tels que la Stratégie continentale de l’éducation pour l’Afrique (CESA 16-25), la Stratégie pour l’égalité des sexes de la CESA 16-25 et le guide du PME et de l’UNGEI pour une planification sectorielle favorisant l’égalité des sexes, donnent une orientation pour la prise en compte des besoins spécifiques aux hommes, aux femmes et aux groupes vulnérables notamment, pour un système éducatif véritablemen inclusif.

La planification pour une meilleure intégration des besoins des PDI et des personnes réfugiées

Nous suggérons aux gouvernements d’investir dans la recherche, non seulement pour savoir le nombre de personnes touchées par les conflits, mais également pour comprendre les besoins profonds des victimes et survivants de la violence pendant et après les conflits. Un retour à la normale après des épisodes de violence, comme le fait d’avoir un toit et de quoi manger, ne répond pas aux autres besoins importants de ces populations.

Les gouvernements doivent dépasser la simple réponse aux besoins matériels et investir dans l’aide psychosociale et économique de ces communautés défavorisées.

De plus, il convient d’avoir des mécanismes de prévention et de préparation aux catastrophes tant au niveau local que national. Les politiques et stratégies doivent être élaborées dans une approche multisectorielle par laquelle les unités d’éducation des communautés économiques régionales (CER) collaborent avec leurs collègues de la paix et de la sécurité pour améliorer la préparation.

Il est nécessaire de créer un système régional de financement pour la préparation aux situations de conflit et post-conflit qui permette aux États membres des CER de contribuer à un fonds commun utilisé comme financement initial dans le but de mobiliser des ressources supplémentaires au niveau international au moyen d’un effet multiplicateur.

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