Repenser la définition d’un « bon enseignant » pour améliorer la qualité de l’éducation

Repenser la définition d’un enseignement efficace - et comment le faciliter- nous permet de nous assurer que les élèves reçoivent une éducation de qualité

31 août 2016 par Lee Nordstrum, RTI International
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Lecture : 15 minutes
La directrice Jenifer Bittor, dans son bureau, à l'école primaire d'application de Pong Tamale au Ghana, en mai 2016. Crédit: GPE/Stephan Bachenheimer
USAID - Une étude conceptuelle sur l'enseignement et l'examen des politiques éducatives efficaces dans 11 pays d'Afrique sub-saharienne

Ces dernières années, de grands progrès ont été réalisés en matière d'accès à l'école dans de nombreux pays. Depuis le début du siècle, le taux de scolarisation a connu une forte augmentation, en particulier en Afrique subsaharienne, dans certains Etats arabes et en Asie. Le second objectif de l’Éducation pour tous était de fournir un enseignement primaire gratuit et obligatoire pour tous, mais le Rapport mondial de suivi 2015 de l’UNESCO a constaté que cet objectif n’avait pas été atteint.

De plus, selon les données les plus récentes, on estimait, en 2014, à 61 millions le nombre des enfants en âge d’être scolarisés dans le primaire qui ne l’étaient pas. Sur cette base, il est certainement prématuré de déclarer « mission accomplie » pour le second objectif de l’Éducation pour tous, même si de grands progrès ont été accomplis.

Il n’est donc pas surprenant de voir que les Objectifs de développement durable comprennent une cible (4.1) qui vise à associer l’accès à l’école, à un objectif qui s'avère un peu plus compliqué à atteindre : la qualité.

Bien que celle-ci ait été depuis des décennies au cœur du développement en matière d’éducation, la question de la qualité apparaît implacablement évidente, puisque 250 millions d’enfants (dont plus de la moitié ayant été scolarisés pendant au moins quatre ans) n’ont pas pu acquérir les compétences de base en lecture et en mathématiques. Les solutions sont compliquées à mettre en place, en partie parce que le problème est épineux et complexe, mais également parce qu’il a été négligé au profit d'autres questions telles que l'accès.

L’enseignement et l'apprentissage de qualité sont intrinsèquement liés

La question de l’accès étant largement dépassée, comment assurer une plus grande qualité dans les écoles et les salles de classe ? Cette question peut être abordée de bien des façons, mais la plupart des approches impliqueront probablement, d’une façon ou d’une autre, les enseignants.

Les enseignants sont un élément clé de la qualité de l'éducation, car ce sont les chefs d'orchestre des interactions pédagogiques avec et entre les élèves autour du contenu de l'enseignement ; idéalement, ces interactions au sein de la classe influencent l'apprentissage de l'élève.

Notre postulat est donc que les enseignants et les actions qu'ils entreprennent dans la salle de classe ont un impact fondamental sur les élèves et ce que ceux-ci apprennent. Souvent, en tant que communauté de parties prenantes du secteur éducatif, nous poussons cette relation présumée de cause à effet jusqu’à affirmer que la qualité d’un système éducatif dépend uniquement de la qualité de ses enseignants.

Cependant, cette valorisation universelle à la fois de l’enseignement et des enseignants fait fi de la réalité selon laquelle, chaque enseignant a des effets différenciés sur l’apprentissage de l’élève. C’est-à-dire que les enseignants réussissent plus ou moins à faciliter la progression de leurs élèves sur la voie des objectifs convenus en termes d’apprentissage et se situent ainsi quelque part sur une ligne idéalisée d’« efficacité » de l’enseignant.

L'attention des décideurs politiques du secteur éducatif est ainsi orientée vers l’identification et la spécification des aspects de l’enseignement et des enseignants qui sont davantage susceptibles de faciliter l’apprentissage des élèves. À ce jour, quatre domaines généraux de l'enseignement et du processus d'apprentissage ont été explorés comme indicateurs de l'efficacité pédagogique. Ces domaines sont les caractéristiques et les intrants au niveau de la classe, le professionnalisme et la déontologie des enseignants, les acquis scolaires des élèves et la pratique enseignante.

Actuellement, les deux principaux domaines en termes de recherche et de politiques sont les caractéristiques de l’enseignant et les acquis scolaires des élèves, car ils sont quasiment omniprésents dans la définition de l’efficacité de l’enseignement. Le domaine des acquis scolaires des élèves est particulièrement mis en avant dans les pays à revenu élevé ou intermédiaire, surtout depuis l’introduction des évaluations régionales et internationales de l’apprentissage des élèves. Il devient toutefois de plus en plus courant également dans les pays à faible revenu.

Néanmoins, les domaines des caractéristiques de l’enseignant et des acquis scolaires des élèves définissent l’efficacité de l’enseignement non pas selon leurs propres termes, mais, en tant qu'enseignants possédant des caractéristiques spécifiques considérées comme bénéfiques pour l'enseignement ou en tant qu'enseignants dont les élèves progressent par rapport à une métrique des résultats de l'apprentissage. En d’autres termes, l'enseignement efficace tend à se confondre avec l'efficacité des enseignants (c’est-à-dire les caractéristiques personnelles et les attributs professionnels) ou avec la réussite de l’enseignement (c’est-à-dire un enseignement qui produit la réussite des élèves conformément à des formes d’évaluation convenues).

Cette équation bidirectionnelle d’un bon enseignement avec l'efficacité des enseignants et la réussite de l'enseignement est subtile certes, mais importante, car elle a eu des conséquences désastreuses pour la recherche et les politiques relatives au secteur éducatif. Confondre le bon enseignement avec l’efficacité des enseignants a concentré les efforts sur la modalité de recrutement, de formation et de soutien aux enseignants possédant les qualités requises (quasiment) a priori pour faciliter l’apprentissage des élèves.

En d’autres termes, l’accent a été mis sur le fait de doter la main d'œuvre enseignante des caractéristiques qualifiant les « bons enseignants » et a généralement traité les enseignants comme les composantes importantes mais parfaitement interchangeables d'un système éducatif.

Cependant, confondre bon enseignement avec enseignement réussi a conduit les décideurs politiques à mettre l’accent sur, et à privilégier, l’information dont l'élève se souvient et qu’il met en pratique dans des évaluations formelles.

L’analyse de l’efficacité de l’enseignement - un nouveau rapport

Cette confusion a également eu des effets significatifs sur la collecte et la communication des statistiques en matière d'éducation. Un nouveau rapport de l’initiative de Programmation des données pour l’éducation et la recherche de l’Agence américaine pour le développement international, impliquant l'examen d'ensembles de données internationales, régionales et nationales, constate que les mesures des systèmes éducatifs centrées sur l’enseignant les plus largement disponibles et communiquées sont celles qui rendent compte des enseignants efficaces (c’est-à-dire les caractéristiques de l’enseignant) et de la réussite de l’enseignement (c’est-à-dire les résultats des élèves).

Toutefois, peu de bases de données, d’évaluations internationales et de ministères de l’éducation, recueillent des mesures sur les processus pédagogiques utilisés en classe. Dans les pays d’Afrique subsaharienne, les données recueillies sur la pratique en classe (et son amélioration) ont plutôt tendance à provenir de sources non gouvernementales qui collaborent avec les ministères de l'éducation, ce qui signifie que ces données sont à la fois fragmentées et variables.

Un programme politique, qui serait adopté par la communauté du développement en matière d’éducation, pourrait commencer à dissiper la confusion entre enseignants et enseignement et éclairer les pratiques pédagogiques des enseignants en classe les plus propices aux interactions entre les élèves et le contenu de l’enseignement et favorisant l’apprentissage. Ce rapport présente les cinq éléments possibles suivants en matière de programme de recherche et de politiques :

  1. Établir des pratiques de référence en termes d’enseignement de qualité et de comportement pédagogique désiré : établir des pratiques non négociables d’enseignement en classe, mais en laissant également une marge de jugement professionnel, d'improvisation et de flexibilité. Cette approche des politiques reconnaît les caractéristiques de base de l’enseignement en classe dont tout enseignant devrait faire preuve dans sa pratique et que ces normes professionnelles forment la structure permettant un apprentissage professionnel entre les enseignants portant sur leurs pratiques (avec quelques variations selon la matière et le niveau).
  2. Définir des mesures et commencer à recueillir des données portant sur les processus pédagogiques : commencer à recueillir des données sur des pratiques pédagogiques spécifiques, par l'observation en classe, afin de créer une banque de données pour comprendre la pédagogie utilisée par l'enseignant au sein de la classe. Les ministères de l’éducation pourraient lancer ce processus en faisant intervenir des inspecteurs dans les écoles, en parlant aux enseignants, en observant des séances, en rassemblant des données sur des processus d’enseignement et d’apprentissage spécifiques en classe et en les communiquant au ministère (tout en garantissant l’anonymat de ces données). Cette collecte de données pédagogiques anonymes ne doit pas nécessairement être lancée au niveau national (c’est-à-dire dans toutes les régions d’un pays donné) ni impliquer tous les enseignants à tous les niveaux.
  3. Reconfigurer la journée scolaire en donnant plus de temps et d’espace aux enseignants afin qu’ils travaillent différemment : pour que les enseignants travaillent d’une autre façon que par le passé, il leur faut le temps et l’espace nécessaires pour fonctionner dans ce nouveau modèle. Il n’est pas réaliste de penser que le comportement pédagogique de l’enseignant sera modifié de façon substantielle si son emploi du temps quotidien et la description de sa fonction ne sont pas eux aussi changés. Du temps peut être alloué aux enseignants en modifiant : le temps d’instruction (heure de début et de fin, pauses), la composition de la classe (taille et organisation) ou les responsabilités de l’enseignant (description de la fonction). L'ensemble de ces paramètres peut évoluer au moyen de politiques qui peuvent être initiées au niveau législatif national, mais mises en vigueur et appliquées au niveau local ou du district.
  4. Autoriser l’expérimentation de différents modèles de rémunération : la rémunération pourrait être fondée sur ce que la société valorise dans la profession d’enseignant, par exemple les responsabilités de l’enseignant, les actes et fonctions professionnels, ainsi que la mesure dans laquelle un enseignant remplit de telles fonctions. Par exemple, une société peut valoriser l’apprentissage professionnel et l'acquisition de nouvelles compétences par les enseignants. Les modèles de rémunération traditionnels présument que ces deux commodités précieuses augmentent avec le temps et la formation, bien que certains défendent la thèse selon laquelle ce n'est pas toujours le cas. Un modèle de rémunération alternatif pourrait compenser les enseignants qui démontrent leur apprentissage professionnel (et non seulement le fait d’avoir suivi des cours) et leurs nouvelles compétences, comme avec le National Board for Professional Teaching Standards américain (Conseil national des normes pédagogiques professionnelles).
  5. Encourager un comportement de prise de risques pédagogiques au sein du corps enseignant : pour que les enseignants dépassent leur aversion aux risques naturelle et adoptent des techniques pédagogiques plus ambitieuses, il nous faut explicitement les encourager à le faire. Cet encouragement peut prendre plusieurs formes et ne se limite pas à des incitations financières. Par exemple, les ministères devront probablement garantir aux enseignants (et leur prouver) qu’il n’y a pas d’enjeu professionnel lié à leur performance immédiate en cas d'application de techniques pédagogiques plus ambitieuses (c’est-à-dire qu’on donnera aux enseignants le temps et l’espace de mettre en pratique et élaborer sans qu’ils aient à se préoccuper des implications de ces nouvelles techniques sur leurs évaluations). Les ministères peuvent également prendre des mesures afin de diminuer l’incertitude entourant les pratiques pédagogiques innovantes et plus ambitieuses en documentant l'évolution dans le temps de la pratique des premiers adeptes (collecte de témoignages de pairs).

La communauté éducative internationale a obtenu d’énormes avancées en termes d'accès à l'éducation dans les pays en développement mais ces efforts sont loin d'être suffisants.

Maintenant que la plupart des élèves peut aller à l’école, il nous incombe de prendre les mesures nécessaires, afin de veiller à ce qu’ils en ressortent en ayant reçu une éducation de qualité.

Repenser ce que l’on considère être un enseignement efficace et la façon dont on y parvient fera partie intégrante de ce processus.

 Carte des parcours de réussite

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Commentaires

L'analyse est excellente et à l'évidence il s'agit d'une conversion copernicienne. De fait tout ce qui a trait à l'enseignement et à l'apprentissage solide des élèves repose sur l'enseignant, ses qualifications, son niveau de base de culture générale, sa maîtrise de la langue d'enseignement et aussi de la reconnaissance sociale dont il jouit.
Ce que prévoit le GPE est un changement de paradigme fondamental de l'éducation scolaire obligatoire de base. Donc ce changement doit être porté par tous les acteurs ce qui suppose une formation, même une reformation de tous les responsables des enseignants de l'école de base donc de la hiérarchie dans sa totalité. Puis bien sûr aussi mieux former en formation initiale et recruter à un bon niveau. Il faut être conscient que chacun éduque comme il a été éduqué donc changer sa vision de l'éducation est difficile pour toute personne, même de bonne volonté. Ce chantier porté sur la qualité de l'enseignement est probablement beaucoup plus exigeant en investissement à mobiliser les acteurs parce que le travail portera sur l'humain. L'humain répugne souvent à changer, parce qu'il ne voit ce qu'il va y gagner. Il faut aussi prendre en compte qu'EPT a permis de faire suivre l'école à une majorité d'enfants mais n'a pas pu garantir des apprentissages solides pour tous les élèves. Et c'est parmi ces anciens élèves, pas nécessairement utilement éduqués à l'école, que sont recrutés les futurs enseignants qui vont reproduire, parfois en moins bien, ce qu'ils ont reçu et comme ils l'ont reçu. La qualité de l'enseignement ne s'y retrouve pas.
Si cette révolution ne se produit pas, l'école deviendra peu à peu inutile ne préparant pas à travailler et à assurer son autonomie à aucun point de vue. Les fondamentaux doivent être solidement acquis.
C'est exactement à cela que travaille l'ONG AFEB* depuis quelques années, mettre en évidence les possibles localement pour assurer une éducation scolaire de qualité dispensée par des enseignants dument qualifiés. L'action de recherche-action de formation de l'AFEB se fait sur le terrain avec les acteurs concernée pour aboutir à des propositions de solutions concrètes et déjà testées. Propositions qui seront mises à disposition du Ministère.
* Action de Formation en Ethique au Burkina Faso (éthique = philosophie de l'action => produire une action dans le but d'atteindre les objectifs fixés, la finalité définie et pour cela se donner les moyens les plus performants de réalisation adaptées et réalistes. Surtout ne pas "faire pour faire" sans comprendre le pourquoi et le comment de l'action, ce que pratiquent les gens peu ou pas éduqués à être utile à leur environnement et au monde, c'est--à dire à résoudre les problèmes que toute pratique humaine pose.)

Je propose quelques suggestions et pistes pratiques à expérimenter pour avancer sur cette question de l'efficacité des pratiques pédagogiques, sur la qualité des apprentissages scolaires et, in fine, sur les acquis des élèves. Mon propos est circonscrit au primaire dans un cadre de polyvalence des enseignants et n'est pas pertinent pour les enseignements secondaires.

1) La bonne volonté des enseignants est générale mais leur formation est insuffisante dans le contexte de complexité non maîtrisée de la majorité des classes dans les pays en développement : effectifs pléthoriques, manque de manuels scolaires et de documentation pédagogique, langue de scolarisation différente de la langue maternelle, temps annuel d'enseignement/apprentissage très insuffisant. La préconisation de standardisation(s) des pratiques me semble être une réponse féconde dans l'attente d'une amélioration significative, et indispensable, des conditions d'enseignement/apprentissage. Ce processus de standardisation des pratiques pourrait être un objectif de formation initiale, pour les nouveaux enseignants, ainsi que de formation continue pour les enseignants en exercice.

2) Nous sommes au XXI éme siècle, y compris dans les pays en développement... Je suggère une articulation pratique de cette orientation avec l'usage des technologies de l'information à distance (téléphone mobile, tablette, ordinateur portable ) pour en démultiplier les effets et en réduire les coûts à moyen terme.

3) Le rôle des personnels d'encadrement (directeurs et inspecteurs) doit évoluer : d'une fonction de contrôle (d'ailleurs largement inefficace...) à une fonction d'accompagnement et de conseil. Les enseignants ont besoin d'échanger et d'être conseillés pour prendre le risque de transformer leurs pratiques quotidiennes dans un climat de confiance.

4) Le GPE doit donner la priorité à la dévolution pratique du processus de qualité dans ses actions. Les résultats ne seront pas immédiats mais leur effectivité positive pourra être évaluée sur la durée d'une scolarité primaire en s'appuyant sur les résultats intermédiaires dans une logique de cycles d'apprentissage.

5) Last but not the least, l'opérationnalisation de ces mesures devrait s'initialiser prioritairement sur le cycle des premiers apprentissages systématiques au primaire qui conditionnent la réussite sur tout le cursus scolaire: Ici, il s'agit bien de développer des compétences de base mais essentielles en langue(s), en lecture et en mathématiques.

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