Le coût de la transformation numérique est prohibitif pour les pays pauvres

Le rapport GEM 2023 propose trois scénarios de transformation numérique dans l'éducation. Connecter entièrement les écoles et les foyers du monde entier d'ici 2030 entraînerait des coûts énormes auxquels les pays à faible revenu ne pourront pas faire face.

01 août 2023 par Manos Antoninis, Global Education Monitoring Report
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Lecture : 5 minutes
Les élèves de la classe 8 étudient dans le laboratoire informatique de l'école primaire Marble Quarry à Kajiado Central, dans la périphérie de Nairobi, au Kenya.
Les élèves de la classe 8 étudient dans le laboratoire informatique de l'école primaire Marble Quarry à Kajiado Central, dans la périphérie de Nairobi, au Kenya.
Credit: GPE/Luis Tato

Le coût associé à la réalisation des cibles nationales liées à l’ODD 4 que les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure se sont fixé est hors de portée : il implique de combler un déficit de financement de 97 milliards de dollars par an entre 2023 et 2030.

La transformation numérique dans le secteur de l’éducation est un coût supplémentaire qui a été estimé dans le nouveau rapport mondial de suivi sur l’éducation (rapport GEM) 2023 publié sous le titre « Les technologies dans l’éducation : qui est aux commandes ? ». Toute discussion portant sur les investissements actuels destinés à une transformation future doit être claire dès le départ et tenir compte des coûts nécessaires pour assurer un changement durable.

Le rapport GEM 2023 stipule que l’adoption des technologies de l’éducation ne peut pas suivre une approche générique. Celles-ci doivent être mises en place selon les conditions de chaque pays, en s’adaptant au contexte, aux objectifs d’équité et d’inclusion, ainsi qu’à la capacité de déploiement de chaque pays, tout en tenant compte des conséquences économiques, sociales et environnementales à long terme.

Le rapport examine trois scénarios de transformation numérique de plus en plus ambitieux auxquels les pays pourraient aspirer :

  • un scénario hors ligne de base qui prévoit quelques possibilités d’enseignement et d’apprentissage numériques et quelques appareils partagés, mais pas de connexion internet
  • un scénario où toutes les écoles sont connectées et dotées d’un plus grand nombre d’appareils
  • un scénario où l’ensemble des écoles et des foyers sont connectés à internet et disposent de l’électricité et des appareils nécessaires, à l’instar de ce que les pays les plus riches du monde ont connu lors de la pandémie de COVID-19 avec l’apprentissage numérique.
Une fille monte les escaliers des avancées technologiques

Une telle transformation entraîne des coûts importants. Préparer les systèmes éducatifs à l’apprentissage numérique implique d’élaborer des contenus, de former des enseignants, d’impliquer les élèves et les familles, de renforcer les capacités d’utilisation des données au niveau national et à celui des écoles, et d’élaborer des politiques.

Ainsi, les enseignants devront recevoir une formation initiale et continue, et les écoles devront être dotées des capacités nécessaires pour gérer et exploiter les données.

Il conviendra en outre de distribuer des appareils et de les remplacer tous les cinq ans environ, et de veiller à ce que les écoles disposent d’un accès à internet. Les hypothèses de coût ponctuel pour connecter une école de taille moyenne (15 000 dollars) sont fondées sur le projet Giga, mais excluent certaines des écoles les plus isolées dont le raccordement à internet coûterait des millions de dollars.

On suppose que le coût de la connexion universelle représente 90 % de ceux estimés par l’Union internationale des télécommunications (UIT) pour l’accès de toutes les personnes âgées de 10 ans et plus à la 4G ou à une technologie équivalente, y compris l’infrastructure mobile, la fibre optique, l’exploitation du réseau, la couverture des zones reculées, l’élaboration de politiques et l’acquisition de compétences numériques supplémentaires.

À ces coûts il faut aussi ajouter les coûts d’exploitation liés à la consommation des données à l’école (pour les deux scénarios) et à la maison. Le scénario d’apprentissage à la maison repose sur l’estimation de l’Alliance pour un internet abordable selon laquelle le coût d’un gigaoctet de haut débit mobile ne doit pas dépasser 2,45 % du revenu mensuel pour satisfaire au critère d’accessibilité dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Le chapitre 22 du rapport GEM 2023 énumère distinctement tous ces éléments et présente des hypothèses de coûts pour chacun d’entre eux.

ordinateur

Il est difficile d’établir avec précision la plupart des hypothèses formulées à partir de ces estimations : cela dépend de la manière dont les cibles sont définies, du niveau des prix au moment de l’estimation et de la période de référence analysée.

En ce qui concerne la connexion internet, par exemple, les Nations Unies ont estimé que le coût pour connecter les 3 milliards de personnes qui n’ont pas encore accès à internet d’ici 2030 s’élèverait à 428 milliards de dollars, montant qui serait cinq fois plus élevé selon un cabinet de conseil, soit 2 100 milliards de dollars.

Néanmoins, les sommes requises pour réaliser cette transformation numérique sont colossales. Le coût de cette transformation ne doit évidemment pas peser simplement sur le budget des ministères de l’Éducation ; certains coûts peuvent même être supportés par des acteurs non étatiques, tels que les investissements liés à la connexion internet. Quoi qu’il en soit, les coûts associés au choix de chaque pays doivent être clairs avant de pouvoir commencer la planification.

En additionnant tous ces coûts, le troisième scénario, qui prévoit un apprentissage numérique à la maison d’ici à 2030, est hors de portée des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Ce scénario coûterait environ 1 000 milliards de dollars en dépenses d’investissement, et près d’un milliard de dollars par jour ensuite pour juste le maintenir en état.

Par conséquent, le rapport GEM 2023 porte principalement sur les deux premiers scénarios : les pays à faible revenu suivent le premier scénario hors ligne de base, tandis que les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure s’efforcent de réaliser le deuxième scénario, selon lequel l’ensemble des écoles disposent d’un accès à internet.

Cela coûterait à ces pays 21 milliards de dollars par an jusqu’en 2030 pour les dépenses d’investissement et 12 milliards de dollars par an pour l’entretien. Si l’on ajoute cette somme au déficit de financement, auquel les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure doivent déjà faire face pour atteindre leurs objectifs nationaux au titre de l’ODD 4, cela augmenterait leur déficit de financement de 50 %.

Les conditions ne sont pas encore réunies pour que les dépenses technologiques remplacent certaines dépenses courantes. À court et à moyen terme, pour être acceptable, tout investissement dans les technologies doit compléter d’autres investissements urgents, destinés notamment à construire des salles de classe propices à l’apprentissage, à combler le manque d’enseignants et à garantir que chaque élève dispose d’un manuel scolaire.

Les décideurs politiques doivent réfléchir soigneusement avant d’engager des dépenses susceptibles de creuser davantage les inégalités et de créer des obstacles supplémentaires à l’égalité des chances dans l’éducation pour les populations défavorisées.

Comme l’indique le nouveau rapport, il y a actuellement un manque évident de données probantes rigoureuses et impartiales sur l’impact des technologies dans l’éducation. Par conséquent, les décisions ne sont pas toujours prises de manière éclairée. Deux études menées aux États-Unis ont ainsi fait ressortir que 67 % des licences de logiciels éducatifs achetées ne seraient pas utilisées.

options pour déployer les technologies dans l'éducation

L’accent mis sur la transformation numérique dans les réflexions menées dans le monde entier pèse lourdement sur ces décisions. L’apprentissage numérique figurait parmi les cinq pistes d’action thématiques du Sommet sur la transformation de l’éducation organisé en septembre 2022, en partie en raison de l’importance qui a été accordée aux technologies pendant la pandémie de COVID-19.

Au niveau national, les gouvernements ne veulent pas passer à côté des changements que les nouvelles technologies apportent aux économies et aux sociétés. En effet, un grand nombre d’entre eux pensent qu’ils peuvent surmonter certains des défis qui ont entravé leur développement dans le passé.

Comprendre les conséquences financières de la transformation numérique dans l’éducation, ainsi que les éléments porteurs de transformation, constitue un enjeu stratégique.

Le rapport GEM 2023 appelle les décideurs politiques à s’assurer que l'usage des technologies dans l’éducation soit évolutif : les décisions ne doivent être prises que s’il existe suffisamment de données probantes sur leurs coûts et sur les avantages qu’elles présentent pour tous.

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