8 idées reçues sur le coaching des enseignants qui nuisent à cette pratique

Ces dernières années, donateurs, gouvernements et praticiens semblent de plus en plus considérer le coaching comme une solution qui permettrait aux enseignants d’utiliser les connaissances acquises dans des ateliers de formation pour améliorer leurs pratiques en classe. Mais, comment devrait fonctionner le coaching dans les faits ?

14 décembre 2020 par Mary Burns, Escola Superior de Educação de Paula Frassinetti
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Teacher coaching in Yemen. Credit: ECD/Mary Burns
Teacher coaching in Yemen.
Credit: Credit: EDC / Mary Burns

Lorsqu’on observe l’évolution des projets éducatifs à travers le monde, aucun effort de réforme ne semble avoir été adopté aussi rapidement ces dernières années que celui concernant le coaching des enseignants. Et pour cause. Les recherches montrent que cette pratique, contrairement à d'autres réformes (comme la réduction de la taille des effectifs dans les salles de classe, par exemple), peut se traduire par une amélioration de la qualité de l'enseignement qui, à son tour, produit des effets plus positifs sur les résultats scolaires des élèves (Kraft et al, 2018).

Par conséquent, bailleurs de fonds, autorités nationales et responsables de mise en œuvre font de plus en plus confiance aux coachs et au coaching pour aider les enseignants à mettre en pratique, dans leurs salles de classe, les connaissances acquises lors d'ateliers. Le but est d’améliorer l’apprentissage et de contribuer, par extension, à réformer la pratique de l'enseignement en elle-même.

Toutefois, comme tant à démontrer cet article, l’accompagnement ne fonctionne que s'il est bien conceptualisé, bien conçu et bien mis en œuvre. Et ici, les programmes de coaching prévus dans les projets de développement international, au sens large, ne sont pas toujours efficaces.

Les fondements théoriques du coaching semblent souvent intuitifs et ne se basent pas toujours sur des résultats de recherches. De nombreuses initiatives d’accompagnement des enseignants sont fondées sur des théories du changement incomplètes et les mécanismes de recrutement, de formation et de soutien au coaching sont souvent inadéquats.

Dit autrement, l’intérêt suscité par le coaching, s’il ne se base pas sur des fondements qui font de ces espoirs une réalité, tend à conférer à cette pratique une dimension « magique » qui met en danger l’efficacité de cette forme potentiellement puissante de développement et de soutien professionnel des enseignants.

Je présente ces dangers du point de vue de quelqu'un qui a accompagné les enseignants, qui a été formé au coaching cognitif et dont le travail ces dernières années a été de concevoir et de superviser des programmes de coaching financés par des bailleurs de fonds dans les pays en développement.

Danger N°1 : aucune expérience en matière d'enseignement n'est nécessaire

L'accompagnement est très technique. C'est un aspect du développement professionnel très différencié, individualisé et personnalisé qui se focalise uniquement sur le métier. Enseigner est extraordinairement complexe, c'est pourquoi tant de personnes ont du mal à le faire bien.

Démonstration de compétences ; compréhension profonde des nombreuses dimensions de l'enseignement ; empathie avec les nombreuses difficultés auxquelles les enseignants font face ; expérience de la réalité des écoles, des salles de classes et des interactions avec les élèves ; conseils basés sur des expériences antérieures et crédibilité sont des compétences essentielles à l’accompagnement – et elles découlent toutes de l'expérience des enseignants..

Danger N°2 : tout enseignant peut facilement devenir un coach

Mais l’inverse de ce qui précède existe aussi, à savoir que si vous avez été enseignant, ipso facto, vous pouvez être coach ! Et lorsque nous formons des coachs, cela se résume souvent à leur faire remplir des formulaires d'observation, des formulaires de conformité et de responsabilisation financés par les bailleurs de fonds.

Pourtant, si l'enseignement est complexe, le coaching peut l'être davantage. Les « briques » d'une solide expérience d'enseignant doivent être liées par le « mortier » des compétences en matière de coaching : retour d'information, compréhension des approches d’accompagnement à déployer (Cf. Danger N°7), résolution des conflits, gestion du changement et compétences en communication (telles que savoir résumer, s’adapter, paraphraser) qui font passer les enseignants d'un niveau de performance à un autre.

Les meilleurs coachs donnent l'impression que le coaching est facile. Cependant, l'apparente simplicité d'un bon coaching cache bien la difficulté de le faire correctement et la gamme de compétences, de connaissances et de dispositions complexes qui doivent être mises à contribution et constamment entretenues pour créer cette expertise.

Danger N°3 : coaching = mentorat

Les termes « coaching » et « mentorat » sont très souvent considérés comme synonymes dans le domaine du développement international. Toutefois, bien qu’ils semblent similaires et tous autant importants, il existe bien une différence entre les deux.

Le coaching suppose une relation d’ordre technique, une méthode intensive qui vise à diriger, instruire, autonomiser et orienter les enseignants pour atteindre un objectif particulier ou développer un ensemble de compétences spécifiques sur une longue période. Un coach peut être un expert externe ou un bien autre enseignant (Killion & Harrison, 2008).

Le mentorat quant à lui suppose une relation d’ordre beaucoup plus développemental. Il est souvent de plus courte durée et moins intensif sur le plan technique que le coaching.

Les mentors sont des enseignants plus âgés et plus expérimentés qui écoutent, guident et soutiennent les nouveaux enseignants qui « apprennent encore les ficelles du métier ». Les mentors peuvent observer la classe d'un nouvel enseignant et lui donner un retour d'information, tout comme le nouvel enseignant peut observer le mentor dans sa salle de classe, puis débriefer la leçon avec lui et lui donner des conseils.

Danger N°4 : les risques du modèle en cascade

Le coaching suppose un rejet systématique du modèle en cascade en matière de renforcement des capacités. Nous savons tous que l’on apprend mieux grâce à une pratique soutenue et continue. Toutefois, l’on est en droit de se demander comment le monde du développement international prépare les coachs eux-mêmes. A travers le modèle en cascade. Ainsi, malgré les investissements faits pour l’accompagnement des enseignants, il nous semble toujours difficile de nous défaire de ce modèle.

Enseigner le coaching à des coachs selon les principes du modèle en cascade est dangereux à plus d’un titre, dont les deux sur lesquelles je vais m’attarder ici. Premièrement, cela est incompatible avec la raison d'être du coaching. Si ce modèle peut fonctionner pour un ensemble de comportements standardisés quelconques, le coaching implique un ensemble complexe de compétences comportementales.

De plus, les coachs ont besoin d'une formation rigoureuse, d'un soutien différencié et continu, ainsi que d'un calibrage et d'un ajustement constants. Cette approche n'est adaptée ni à l'une ni à l'autre.

Deuxièmement, le modèle en cascade va à l’encontre du principe de non-nuisance, dans la mesure où il fait abstraction des qualités du coach. Un bon coach peut avoir un impact transformateur sur l’enseignant, tandis qu’un mauvais coach peut avoir un effet désastreux. Le modèle en cascade en matière de coaching se rapproche dangereusement de la faute professionnelle, en imposant un grand nombre de coachs non préparés à un grand nombre d'enseignants vulnérables.

Danger N°5 : coaching = observation et retour d'information

L'observation et le retour d'information sont certainement au cœur du coaching (Joyce & Showers, 2001). Mais, ces deux éléments sont très souvent envisagés comme faisant partie du coaching, et non comme étant l’essence même du coaching.

Ce paradigme est la caractéristique la plus courante des projets financés par les bailleurs de fonds, projets que j'ai contribué à superviser ces dernières années. En effet, c’est là que le coaching intervient le plus souvent. Ce paradigme doit être sérieusement réétudié pour trois raisons.

Premièrement, il repose sur une faible théorie du changement : penser que si nous disons à quelqu'un comment mieux faire, il le fera. Pourtant, les recherches montrent clairement que l'instruction verbale est souvent « inadéquate » (Gladwell, 2005) ; que notre premier réflexe lorsque nous recevons des informations qui soulignent nos défauts est de les rejeter et qu'il est vain de tenter de promouvoir l'excellence en se concentrant sur l'échec (Buckingham & Goodall, 2019).

C'est pourquoi des coachs bien formés sont essentiels pour faire des retours d'observation. Une approche d’accompagnement cognitif, par exemple, rend l'enseignant plus enclin à être accompagné en le guidant habilement pour qu'il évalue son propre travail et en réduisant son degré de résistance au changement (Garmston et al, 1993).

Deuxièmement, penser que le coaching est synonyme d’observation et de retour d'information fait abstraction des supports pédagogiques essentiels qui confèrent au coaching ce potentiel de transformation dès le départ. Les recherches sur les raisons du changement montrent que nous apprenons mieux grâce aux modèles et à l'expérience directe (Gladwell, 2005).

En Indonésie par exemple, de 2008 à 2010, l'EDC (en anglais) a eu recours à une approche d'accompagnement par « déblocage progressif » à travers laquelle des coachs hautement qualifiés ont aidé des enseignants à fixer des objectifs pédagogiques, modéliser une leçon intégrant ces objectifs et concevoir une leçon similaire. Les coachs ont par ailleurs co-enseigné des leçons conçues par des enseignants grâce à leur aide. Ils ont également observé et fait des retours aux enseignants sur des leçons similaires que ces derniers avaient dispensé sans leur soutien.

Ce cycle continu de définition d'objectifs, de modélisation de l'excellence, de renforcement et de perfectionnement des compétences des enseignants pour suivre ces modèles et de concentration sur les forces et les capacités des enseignants, les a aidé à développer leur confiance, leur volonté et les compétences nécessaires pour améliorer leurs pratiques de manière mesurable (Ho & Burns, 2010).

La troisième raison suit.

Teacher coaching in Yemen. Credit: EDC / Mary Burns
Teacher coaching in Yemen

Danger N°6 : coaching = évaluation

L’accompagnement est une relation de soutien, et non d'évaluation. Cependant, de nombreux programmes de coaching confondent observation en situation de classe et obligation de rendre des compte.

Bien que le coaching puisse être directif, les coachs ne devraient pas contrôler les enseignants. Bien que le suivi fasse partie du coaching, il doit être effectué dans le but de pousser l’enseignant à s’améliorer et non dans celui de veiller simplement à ce qu’il se conforme. Et quoique l'évaluation fasse partie du coaching, elle se doit d’être plus formative que sommative.

Si les coachs observent les enseignants, c’est essentiellement dans le but de les pousser à évoluer et à s’améliorer et non de les obliger à rendre des comptes.

Cette confusion brouille la relation entre le coach et l'enseignant, car elle sape la confiance et le soutien inhérents à cette relation.

Danger N°7 : le coaching est indifférencié

En fait, le coaching est très différencié. Il existe différents types de coachs, chacun ayant un rôle spécifique. On distingue d’ailleurs plusieurs « niveaux » et diverses approches du coaching, allant d’une l'approche qui se veut « amicale » à une approche plus « intensive » comme celle évoquée par l'EDC plus haut.

Les approches d’accompagnement sont également légions. De manière générale, le coaching peut être considéré comme « directif », c'est-à-dire informatif, technique, prescriptif, par opposition à l’approche selon laquelle le coach adopte une posture de « facilitateur ». Dans ce deuxième cas de figure, on parlera de coaching de soutien et de collaboration.

Le type d'approche utilisée par un coach, ainsi que sa fréquence et son intitulé, dépendent du type de développement professionnel dont il est question, des résultats souhaités pour les enseignants et de la complexité de l'intervention.

Si l'objectif consiste à aider les enseignants à utiliser correctement une série d'approches de lecture définies, par exemple, une approche directive peut être plus appropriée. Si l'objectif consiste à aider les enseignants à réfléchir de manière stratégique à un problème ou à renforcer la constitution d'une équipe, une approche facilitatrice peut être plus appropriée. En réalité, les coachs alternent fréquemment entre ces approches.

Danger N°8 : le coaching est trop coûteux

Il ne fait aucun doute que le coaching est une activité qui nécessite beaucoup de ressources (tout comme les ateliers centralisés). Cependant, l’idée selon laquelle le coaching serait « trop coûteux » pour les programmes de développement international relève davantage d’un mythe que de la réalité.

Nous disposons de peu de données sur le coût réel des programmes de coaching et nous ne disposons pas de cadres permettant de mesurer ces coûts par rapport à ceux d'autres types de programmes de développement professionnel des enseignants.

Le coaching pourrait bien être « trop coûteux » (et non rentable), mais tant que ces affirmations ne sont pas étayées par des preuves, nous ne devrions pas rejeter à l’avance l’idée de mettre en place des programmes de coaching parce qu’ils couteraient trop cher.

Nous pourrions également réduire les coûts associés à ce type de programmes d’accompagnement en ayant par exemple recours au coaching par les pairs, au coaching par groupe, au coaching hybride et au coaching basé sur les technologies. Ce dernier a donné des résultats mitigés, comme je l'expliquerai dans le prochain article sur le sujet.

Lire les autres blogs de cette série :

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Références

  • Buckingham, M. & Goodall, A. (2019-April-May). The feedback fallacy. Harvard Business Review, 92-101. Brighton, MA: Harvard Business Publishing
  • Garmston, R., Linder, C., & Whitaker, J. (1993). Reflections on cognitive coaching. Educational Leadership, 51(2), 57–61.
  • Gladwell, M. (2005). Blink: The Power of Thinking Without Thinking. New York, NY: Back Bay Books.
  • Ho, J. & Burns, M. (2010). Evaluation of Pilot 1 Decentralized Basic Education 2 (DBE 2). Unpublished evaluation report submitted to USAID.
  • Joyce, B. R., & Showers, B. (1981). Transfer of training: The contribution of "coaching.” Journal of Education, 163-172.
  • Killion, J., & Harrison, C. (2008). Taking the lead: New roles for teachers and school-based coaches. Oxford, OH: National Staff Development Council.
  • Kraft, M.A., Blazar D, Hogan D. (2018). The effect of teacher coaching on instruction and achievement: A Meta-analysis of the causal evidence. Review of Educational Research, 88 (4):547-588

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